Qu'est qu'une femme ?

Publié le par vince

Rose Marie ( - Mervyn LeRoy 1954)

 

 

 

 

 

 

 

 

Rose Marie est un petit animal sauvage que la caméra cherche à apprivoiser par des petites tentatives d'approche en travellings. Mais le cadre du Cinemascope est trop grand et encombrant. Le petit animal est effarouché. Il ne sait pas qu'il est une femme, pas plus que le très masculin mountie qui le traque. Pourtant il en porte les marques sur son canoë girly. Il en a les formes dissimulées sous le buckskin. Il est déjà faussement naïf, pressentant qu'il devra grandir. Mais il ne veut pas savoir. Il repousse l'échéance. Il joue au garçon manqué dans un environnement qui ne peut plus l'accueillir. 

 

 

Rose Marie est informée de sa féminité. Elle est une lady en devenir. C'est l'étonnement général des gendarmes et des surimpressions qui la détachent des autres tuniques rouges pour lui promettre un autre avenir, une autre nature. Fini le garçon manqué des bois, tué dans l'oeuf le gendarme aspirant aux joues douces. Le temps est venu de prendre conscience de soi pour s'insérer convenablement dans la société. Un peu de révolte, un cri de liberté du petit animal enchaîné n'y font rien.

Les informations sont données de manière détournée, chantées et impersonnelles. Elles n'en demeurent pas moins entêtantes et se font bientôt impérieuses.

 

Rose Marie devient une femme. Elle est éduquée à la coquetterie et à la séduction. Elle devient une femme chez une prostituée qui devient sa mère. Elle renifle des partenaires potentiels durant un bal. Le désir envient un problème. Il doit être canalisé mais doit s'exprimer. Le petit animal grandit mais reste mené à la laisse par le film qui lui oppose un fauve plus dangereux, totalement gagné au désir en la personne de Fernando "latin lover" Lamas ici trappeur québécois. Le dompteur en tunique rouge n'entre pas encore dans l'arène. C'est une arène ramenée des extérieurs canadiens à la végétation synthétique des plateaux de la MGM. Le vert du fauve regarde le rose pâle de Rose Marie et de sa maison. Le chant d'opérette permet de se tenir à distance de son désir nouveau et trop pressant. Les animaux s'observent dans un manège où ils sont spectateurs de leur désir mis en mots et en musique, lancé en l'air. Là intervient le troisième terme absolu de la femme indienne ne parlant pas l'anglais. Elle est le désir profond du mâle, le modèle réprimé de la femelle transformée en femme. Elle vient de la nuit des temps. C'est Eve, c'est Lilith. Son désir se fait passion et sa passion crime. Il est d'abord spectacle de désirs, rite de fertilité où le cadre peut enfin s'épanouir dans la chorégraphie athlétique et suggestive de Busby Berkeley. Rose Marie en sait dès lors beaucoup sur elle-même bien qu'elle ne puisse encore quitter ses attitudes et ses manières de petite fille  La crue est proche mais l'ordre masculin réprimé veille. Il enferme et canalise. Il rétablit l'ordre et la justice. La séparation de Rose Marie et du mâle sauvage est inévitable mais ne peut être subie très longtemps. Un homme civilisé ne saurait contenir une sauvageonne bien longtemps.

 

Rose Marie redevient une femelle. Elle est libérée de la civilisation comme on remet en liberté un animal malade une fois soigné. Mais elle a grandi, elle peut aller vers son désir en ayant pris conscience des dangers de la passion et des vertus du sentiment débarrassé des instincts, ayant intégré les facultés masculines d'ordre et de technique de canalisation à sa propre nature indomptée. Elle doit laisser pour enfin rejoindre le mâle son protecteur en arrière, de toute façon déjà en retrait et ayant fait le deuil de son désir ("Pour l’homme supérieurement différencié, le grand esprit, la femme qu’il aime et la femme qu’il désire sont deux êtres totalement différents" Otto Weininger, Sexe et Caractère). Qu'est q'une femme ? Une femelle qui accepte de connaître sa nature.

 

 

 

 

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